À partir de leur pérégrination hexagonale, il me semble que le travail que les artistes photographes Antonin Faurel et Jean Herpin se proposent de constituer rapproche l’esprit du road movie de la « liste à la Prévert », voire de la critique précisément baudelairienne de l’américanisation de la culture. Ainsi, par un « procédé mécanique » (racine de la photo) et à travers leurs clichés régionaux des Amériques imaginées, il s’agira, pour eux, de faire la collection de l’Amérique imaginaire des Français, de produire un « grand imagier » de cette imagination solide (d’abord l’architecture et les marchandises stylisées), et de parler de quelque chose — de le re-présenter — qui se manifeste dans tout le pays depuis les années 60 (tant 1860 que 1960…), c’est-à-dire dans une part grandissante de notre culture.
Antonin Faurel et Jean Herpin nous proposent donc un voyage symbolique et réel. C’est-à-dire un déplacement initiatique renouvelant notre perception, un déplacement au double sens du terme, à la fois « aventure minimale » et distance (décalage), excursion amicale et recherche artistique d’un point de vue différent sur les choses : le point de vue de la collection d’un phénomène pour mieux en distinguer les réalités, les regarder d’un œil neuf, l’œil du (dieu) collectionneur et du rapporteur (reporter). L’œil de celui qui prend « les objets des gens » au sérieux : Qu’est-ce qu’une belle Américaine dans l’esprit d’un village ou d’un garage ? qu’un restaurant fait de bric et de bois états-uniens ? qu’une électronique désuète mais chérie ?, etc. Voilà un travail de discernement culturel, de focale et de netteté, qui peut nous intéresser, une approche neuve des choses, peut-être leur
« compréhension sans concept ».Ce rapprochement motivé par l’art, l’âge et la complicité, tient donc à la fois du trip à la Kerouac et de la « taxinomie critique » des représentations des « USA de la France », trouées symboliques dans la réalité d’un pays spécifique et spécifiant, et dans l’ennui quotidien de ses habitants.
Ainsi Antonin Faurel et Jean Herpin ne veulent-ils pas en venir à la photographie de cinéma, de décor, à l’artificialisation ou au maquillage du réel, mais ils veulent prendre en cash et comprendre la colonisation de nos représentations collectives et individuelles, nos manières de nous représenter un cosmos d’images, une féerie au réel, la colonisation cool de notre « inconscient culturel », mot difficile, par les Etats-Unis. S’ils ne cherchent pas l’objectivité de la carte postale, cependant, ils semblent se placer dans le courant de la « nouvelle objectivité photographique » à la recherche d’une traduction nostalgique et/ou actualisée du monde américain d’hier. Leur quête est donc, à la fois, du genre ethnographique et une sorte de re-subjectivation de moments passés, de l’Histoire, recueil et accueil du sens, recueillement, au sens lourd du terme, de quelque chose qui est passé, un écho.
Cet écho, reste quasi-mythologique et affadissement, les intéresse. La « matière première » de leur travail apparaît donc, tout de suite, dans cet intérêt pour les Français et leurs espaces réels et symboliques ; la matière de leur travail est cette considération franche des projections fantasmées des USA d’une époque révolue et, parfois, encore vécue par les Français dans leur environnement, leurs souvenirs, la chair de leur monde.
Ces jeunes hommes semblent aspirer à la contemplation sans vouloir imposer leur éducation ; les sociologues parlent de distanciation — le terme est parlant pour des photographes… Alors, tels des ethnographes de la « France moderne », les deux compères consigneront la présence et la persistance de something like USA dans des espaces symboliques de projection sociale, et inversement.
On leur souhaite bon voyage, et qu’ils nous envoient quelques photos.
David Morin Ulmann, sociologue et philosophe